L’égo dans le chamanisme. Risques et prévention
Récit sur la responsabilité des interactions de l’ego dans le monde des hommes, amplifié dans les mondes chamaniques
Le chant des dauphins.
Je me souviens d’un chant que je ne chantais plus.
Sous une mélodie de la jungle, nous avions revisité avec un frère ce chant en duo avec des paroles en français.
Je refredonne les paroles qui reviennent à ma mémoire: « d’un souffle qui guérit les peurs et qui guérit les cœurs… », une soirée de pleine lune de février. La tempête dehors se déchaîne et je suis surpris de ce souvenir que mon esprit avait pourtant bien enterré.
Il me rappelle tous ces chants utilisés dans des contextes de cérémonies chamaniques avec les plantes, les « Icaros » que j’ai entendu des milliers de fois dans la forêt..., tous ces chants gravés dans ma mémoire que je me suis forcé d’oublier.
Je me souviens de ce moment au Pérou dans la selva où une petite tornade en pleine nuit avait arraché le toit de feuilles de palme de la cabane dans laquelle je résidais. Un gros déluge d’eau avait coulé sur ma moustiquaire et le matin je retrouvais Don Daniel assis confortablement dans son hamac en train de fumer sa pipe... ce n’était pas celle de Bilbo le Hobbit avec un long manche mais celle du « cachimbo » ou plus précisément : « shinitapon » qui signifie pipe en shipibo, une petite pipe courte et trapue.
Je lui explique la situation avec de grands signes, un peu ébahi, montrant le toit de la maison arraché. Il me regardait avec des yeux malicieux et me répondit : ma maison aussi! J’étais désappointé de sa réaction puis me suis mis à en rire avec lui dans la bonne humeur. Rien de dramatique en somme. L’avantage de ces maisons c’est qu’on refixe les liasses de grandes feuilles de palmier avec un cordage et le tour est joué.
J’étais là-bas pour une formation de docteur végétaliste. Pour cela, il fallait passer par un protocole rigoureux et strict: s’isoler en forêt sous le cadre d’une diète chamanique de formation, d’une durée de 9 mois consécutifs.
Cela faisait déjà une petite dizaine d’années que je côtoyais Don Daniel et j’avais déjà vécu plein de petites diètes plus courtes mais là c’était le passage à un niveau beaucoup plus sérieux dans l’apprentissage. Je voulais devenir un technicien +++ et pour ça, il n’y a pas de secrets... il faut y aller.
Je ne connaissais pas encore tout l’envers du décor et j’avais encore beaucoup d’illusions sur le sujet.
J’étais encore dans la phase des délices de la découverte, cette phase dite de la chance du débutant, là, si on peut dire ça comme ça, où tout est encore à découvrir et que l’innocence des débuts encore vierges est placé au service de l’encouragement. Même si je m’étais déjà fait très mal et avais vécu un gros traumatisme que je ne mesurais pas du tout : 8 ans plus tôt, je venais de le rencontrer et je vivais l’empoisonnement avec un mauvais mélange de plantes trop puissantes.
Bref, je n’avais pas la moindre idée de ce dans quoi j’allais m’embarquer.
Tous ces chants que je connaissais si bien étaient profondément intriqués et archivés dans mon corps. Avec le temps et des années après, j’ai fait un gros rejet de tout ça car ils étaient associés à une toute autre expérience.
Il est temps de lâcher des valises et quelques dossiers et il s’agit d’une vraie histoire de pouvoir… peut-être pas à la Castaneda mais il y a un peu de ça.
Je commence à tirer les leçons de cette histoire et au moment où j’écris ces lignes, défilent dans mon esprit les différentes pièces du puzzle et beaucoup de prise de consciences.
J’avais décidé d’aller au bout d’une expérience, alors j’ai signé un contrat d’engagement de diète de formation. Un engagement vis-à-vis de moi-même à aller au bout, un engagement avec les plantes surtout car, comme le rappelait souvent Don Daniel, c’est elles qui enseignent et puis aussi, un engagement avec le maestro.
J’étais un jeune chaman passionné sur le sujet qui voulait me donner les moyens de réaliser mes objectifs et de gagner en légitimité vis-à-vis de moi-même et de la tradition ancestrale.
Pour cela je devais faire ces sacrifices et suivre les diètes d’apprentissage de « docteur végétaliste ».
Il m’avait dit: « si tu veux être un bon chaman, tu dois diéter minimum 6 mois sans interruption dans la forêt... j’avais déjà fait de nombreuses diètes mais pas si longues...
9 mois étaient le temps que j’ai choisi pour bien incuber.
Au village de Junin (l’anaconda) et du haut de mes 30 printemps, je démarre la diète.
Les fruits exotiques poussent sous mon nez mais la règle est: pas de fruit, pas de sucre, pas de sel, pas de sexe, pas d’alcool, etc. (cf. les règles du cadre de la diète amazonienne.)
Les repas passent progressivement d’une fréquence de 3 à 1 par jour pour revenir progressivement à 3 en toute fin de séjour. Comme une plongée dans les eaux de l’inconscient.
Tout se déroule normalement les premières semaines... je fais beaucoup, beaucoup de rêves et tombe graduellement sur des strates de mon inconscient de plus en plus fines.
Un soir, Rosa qui est la femme de Don Daniel, me demande de chanter en fin de cérémonie.
Je précise que les cérémonies font partie du cadre de la transmission et elles se déroulent avec la prise d’une plante qui permet de superviser l’ensemble du travail et du tissage effectué avec les autres végétaux... elle encadre et sert un peu de décodeur. C’est un matériel géo-psychique qui rentre en interphase avec la cognition et qui œuvre en termes de symbiose homme/plante. Cette plante n’est pas indispensable mais culturellement, elle fait partie des outils utilisés la plupart du temps par les végétalistes en Amazonie.
A cette phase du voyage, je suis encore frais et plein de force et, mon feu vital est bien allumé et déployé. Mes chants Icaros en sont bien imprégnés. Je précise que dans un contexte traditionnel, l’Icaros est l’outil chirurgical médicinal du végétaliste, pour soigner un malade.
Retour à la cérémonie:
Je dois me lancer. je suis intimidé mais j’ai déjà des milliers d’heures d’Icaros au compteur. Je choisis pour honorer le maestro l’un de ses favoris. Un chant puissant de nettoyage.
Alors, je pose mon chant en le réactualisant à ma sauce.
Il devient aquatique, je suis en pleine improvisation.
Sous l’effet de la plante amère , l’énergie des Icaros est amplifiée et ils prennent alors toute leur ampleur et leur dimension. C’est vraiment quelque chose de très particulier dans l’art de cette médecine (il faudrait un chapitre entier pour le décrire). Il entre en résonance à travers le timbre vibratoire de la voix et sous l’ivresse de la plante.
Mon Icaros déploie les fluides vitaux des plantes que j’ai dans le corps. Il commence à préciser un cadre et une certaine orientation. Circulaire, il rebondit au fil de l’eau dans des mouvements ondulatoires. C’est une danse de dauphins du fleuve de l’Ucayali qui jouent en remontant de temps à autre à la surface... entourés des arbres et de toutes les essences végétales en bordure du fleuve. Des milliers de graines tombent dans l’eau et il regorge de poissons qui s’échouent sur les rives tellement ils sont nombreux.
Je vis et émets cette énergie et ce tableau en fréquence et en pensées image (très tangible et visible sous l’effet de cette plante) et je nomme, dans les paroles en shipibo et en espagnol le décor. Je chante et je kiff ce slam chamanique. C’est une vraie jouissance et je me sens comme un dauphin dans l’eau. Ca vibre, ça rayonne dans les cellules qui ondulent et je suis moi-même surpris et émerveillé du potentiel infini qui coule à travers ce flux d’inspiration de la nature.
Le chant s’arrête...
Rosa a le sourire jusqu’aux oreilles et Don Daniel reste silencieux. Puis comme à chaque fin de cérémonie il se lève et me lance en Shipibo:
« hasta baqui!» (qui signifie: à demain!) et il quitte cet espace pour rejoindre le sien plus loin et dormir.
Les jours de diète défilent et j’ai envie de chanter encore, de me déployer, d’exprimer et d’expérimenter les mélodies que les plantes m’inspirent.
Nous faisons en moyenne 4 cérémonies par semaine les premiers mois de diètes et j’accueille dans mon corps toutes sortes d’invités qu’on appelle les plantes maîtresses. C’est pour cela que je diète. C’est pour bien les recevoir dans mon corps avec un protocole strict, exigent et précis.
Je commence par les arbres.
La règle habituelle imposée par Don Daniel est de ne pas chanter pendant qu’il opère et il n’ouvre pas cet espace en général. Je peux comprendre car en cérémonie, tout est amplifié. On ne peut pas émettre n’importe quoi avec des intentions secondaires de prises de pouvoir ou de je ne sais quoi pas aligné. Ca a toujours été la règle.
Le chant est l’outil technologique de « l’appareillerie » végétale dans ce type de cérémonie qui se déroule avec la compagnie de la grand-mère de l’Amazonie. Cette veille liane amère et visionnaire sert de canal à l’installation des logiciels d’utilisation du réseau web végétal. Elle nous fait entrer dans ce que les aborigènes nomment en Australie le « wunam ». C’est le canevas ou la trame énergétique de tout le pays (au sens naturel évidement).
La diète en Amazonie est centralisée le plus souvent autour de cette plante amère et purgative qui ouvre un circuit neuronal, ouvrant l’accès aux
« photons ». Ils sont présents tout autour de nous dans l’air, le paysage, la terre, le bois, la pierre, les animaux et les hommes... Le point d’assemblage de la conscience met le focus sur ce champ de « photons », un peu comme certains insectes vont régler leurs sens sur la lumière infrarouge des fleurs et d’autres mammifères sur les ondes...( chauve-souris, dauphins, baleines etc.). Ce réseau de « photons» s’active la nuit naturellement dans les rêves et à travers le monde des fluides où notre glande pinéale sécrète naturellement de la DMT (présente aussi dans cette liane) qui ouvre ce canal de lumière. Quand il s’active, c’est lui qui donne naissance à la « vitamine » des couleurs dans les rêves et dans les visions. Plus ce réseau s’ouvre et plus on accède avec notre hémisphère droit au monde subtil des fluides de la nature et de ses essences.
Le chant est un vecteur qui oriente et conduit ces flux en harmonie entre le mouvement vivant des plantes et la psyché des humains qui suivent la diète de formation afin d’y greffer de nouveaux circuits de neurones en connexion avec le monde médicinal et vivant des plantes. C’est un outil indispensable à maîtriser et à acquérir pour un végétaliste.
Alors voilà, Don Daniel ne m’a pas ouvert la place une seule fois à chanter à nouveau lors de cette diète.
Ordinairement, le terrain de la diète permet et encourage l’apprenti à expérimenter l’Icaros afin de le développer.
Mon être voulait s’exprimer et en avait besoin. J’avais besoin de libérer et laisser de l’espace à mon feu, à mon être.
J’ai ravalé mon chant et accepté le cadre imposé à mon détriment et plus le temps filait et plus mon corps contenait et se cuirassait. C’était de plus en plus douloureux. Je me sentais comme atrophié. Ma cage thoracique en fin de diète s’était refermée complètement et manquait d’espace.
J’avais mal et je m’étais fait violence à retenir mon flux de vie. Cette contrainte est violente. C’est celle que peut vivre un enfant qui doit apprendre à rentrer dans les cases pour être accepté en société et pour cela, il doit y laisser la plupart du temps un bout de lui quelque part.
Au fil des mois mon feu s’est éteint, je n’avais pas d’autre solution puisque le contrat était que j’accepte le cadre établi sans interrompre le processus.
On dit que casser une diète comme celle-là, c’est dangereux. C’est prendre le risque de tomber malade, de devenir fou et de finir en HP.
Alors j’ai tenu.
Mais la relation avec Don Daniel s’est dégradée. Son caractère paternaliste était bien prononcé.
De père en fils, le fils trouvait la liberté et la paix quand le père mourrait et il m’avouait cela sans vraiment réaliser ce qu’il me disait! Il y a une contrainte culturelle qui génère de la souffrance et ce mode est cristallisé par l’ego et reproduit sans être redéfini.
Normalement, le mâle alpha dans une meute de loups canalise le cerveau de la meute et prend des décisions comme par exemple l’interdiction de reproduction (« pate hormonale ») mais cela au service du bon équilibre de la meute en fonction des ressources du territoire. La différence est que l’ego est dans ce cas investi à la bonne place et au service de l’harmonie et du collectif et pas autre chose.
Dans ce cas de figure chez l’humain et plus précisément dans cette tribu, l’inconscient et l’ego maintiennent un équilibre sclérosé qui vient du passé et qui n’est plus réactualisé au présent. L’énergie à cet endroit-là est placée au service de la survie et elle doit tout faire pour maintenir ce statut-quo en y mobilisant toutes ses forces.
A ce moment, j’ai senti que mon chant avait commencé à déranger quelque chose.
Une fréquence étrangère avec une énergie de liberté, de jouissance et d’affirmation que son ego bien cristallisé dans sa culture familiale ne pouvait accepter.
Il est rentré en mode survie... un logiciel de protection s’est activé et plus le temps a passé, plus l’alerte rouge s’est enclenchée et plus notre relation s’est dégradée lentement et en sourdine.
Mon affirmation dans ma liberté et ma singularité venait naturellement pointer ce qui n’était pas acceptable dans mon système de valeur: l’abus de pouvoir qu’il exerçait sur ses fils qui exécutaient ses ordres sans broncher en ravalant leurs colères et frustrations chaque jour, faisant tout pour dissimuler tout ça tant bien que mal. Ils l’aimaient mais la relation était toxique. Dès que nous partions en expédition dans la forêt avec lui et ses fils pour aller chercher des plantes, une tension montait en moi lorsque j’observais ce spectacle.
Il était enchainé dans la dictature d’une culture familiale qui était verrouillée et générait plein de souffrances, pour les hommes comme pour les femmes de la tribu. Avec la sensibilité générée par la diète, je devenais de plus en plus sensible à tous les détails et aussi à tous ceux qui me touchait de près particulièrement dans mon histoire. C’est ici ce que les plantes faisaient ressortir.
Nous avons chacun nos zones d’ombres et nos rigidités. J’ai vécu un vrai choc des cultures...
Il avait heureusement plein de zones de souplesse et de joie car hormis cette donnée-là, les shipibos sont quand même des êtres joyeux qui vivent aussi dans des espaces d’insouciance et d’innocence pleins de beauté à des niveaux tellement diamétralement opposés à nous occidentaux et qui nous dépassent.
A l’époque, le cadre de la diète et ma plongée longue et profonde dans le monde des plantes m’a montré beaucoup de subtilités de l’inconscient et de l’ego mais il me manquait encore quelques clés essentielles de compréhension du système.
Avec la puissance des plantes, tout a été amplifié. Une force inconsciente dans le subtil nous a poussé à vivre ce scénario.
Dans la temporalité du 3ème mois, j’ai diété un nouvel arbre très puissant. Il m’a branché directement à mon feu. J’ai fait un rêve où l’esprit de l’arbre se présentait sous l’apparence d’un homme qui venait me recruter, comme un chasseur de tête consultant avec une grande puissance et du jus d’orange qui coulait d’un robinet où il se lavait les mains. Rêve très riche dans la symbolique quand on commence à analyser l’ensemble de ce récit.
Le soir de la première prise de la sève de cet arbre, j’ai reçu et porté pour la première fois une « couchma ».
C’était l’ancienne « couchma » de Don Daniel ( c.a.d. son vêtement traditionnel de chaman) que sa femme avait recousu et reteinté avec la teinture naturelle d’une plante qu’on appelle « l’Ajo-sacha ».
Le chaman lui, avait sa nouvelle « couchma » et moi je récupérais donc la vieille. La relation n’était pas encore si mauvaise.
C’était encore le début...
Quand j’ai bu cet arbre puissant, j’ai tout de suite senti une force monter en moi en quelques secondes.
J’ai comme eu un réflexe inconscient et animal de reprendre mon espace de l’intérieur et aussi à l’intérieur de lui. C’est comme si je me retrouvais en lui par le biais de l’enveloppe de son ancienne « couchma », que je récupérais mon espace et retrouvais mon souffle. A ce moment, il s’est mis à vomir toutes ses tripes.
J’ai senti plus tard dans une conversation, qu’il avait peur de cet arbre (et peut-être aussi de moi avec du recul).
Quelque chose en moi s’était activé et avec Daniel, ça tournait de plus en plus en une sorte de cercle vicieux entre nous. Nos systèmes de défenses étaient en alerte.
Mais moi, le jeune blanc, je venais apprendre de lui et des plantes, je ne maîtrisais pas ce qui se passait... et lui non plus. Il était pourtant d’une grande réputation et d’une grande lignée de chamans chez les shipibos. (Je garde son nom de famille pour moi)
Je faisais des efforts pour apaiser les choses et il y avait des vagues où ça se calmait mais une trame de fond était installée.
Il me semble qu’il était face à une faille dans son système. Ça l’a fait vriller et il est passé du côté obscur. Son regard est devenu noir et sombre et il n’y avait plus la joie et la malice du début. Ça aurait pu être une colère ponctuelle mais ce n’était pas le cas, nous étions en plein terrain miné et dans le monde du chamanisme c’est vraiment délicat à gérer. Ca ne rigole pas du tout et ce jeu n’était pas très chouette.
Il est devenu de moins en moins sympa et je passais moi aussi en mode survie.
Je ne sais comment j’ai réussi à finir cette diète. Les plantes elles, m’apprenaient mais le maestro lui, était sur le banc de touche en mode « crise d’ego ». Heureusement, dans ce temps de la diète, il y avait de moins en moins de cérémonies et je pouvais vivre mieux l’isolement nécessaire.
Moi je faisais au mieux pour jongler avec tout ça et surtout ne pas exploser en plein vol. Une nuit, je rêvais que je me faisais voler mon sac médecine par un chaman. Or, Don Daniel, dans la journée, venait de prendre le bateau pour partir en ville pour quelques jours et c’est alors que justement, un autre chaman que je ne connaissais pas était apparu à ce moment en prétextant qu’il venait sur les lieux pour chercher des écorces d’un arbre nommé le « Chullatchaqui ».
Cet arbre à l’esprit malin dans la cosmogonie shipibo est représenté par un esprit qui prend le visage d’une personne que l’on connaît. La seule façon de le reconnaître c’est par un de ses pieds qu’il cache sous les feuilles et qui est beaucoup plus gros que l’autre. Il est réputé pour faire se perdre les gens dans la forêt. Ce chaman, un peu comme une sirène, chantait de vive voix dans ma direction et sans mon accord. C’est très intrusif et c’est quelque chose qui ne se fait pas dans le cadre d’une diète. C’est là que la nuit j’ai fait ce rêve où il tirait sur mon sac médecine et je finissais par le lui lâcher en lui disant: ce n’est pas grave, je le récupèrerai!
En fait, Don Daniel ne remplissant pas bien son rôle, je me faisais voler une partie de ma diète par ce chaman venu de nulle part qui, comme par hasard, venait justement chercher le fameux arbre « Chullatchaqui », appelé aussi « Chapchico », qui est l’arbre qui détient la médecine qui nous fait nous perdre mais aussi nous retrouver. Il faut savoir qu’en Amazonie il arrive que certains chamans viennent voler le bénéfice vital acquis en diète de certains apprentis qui, pendant leur diète sont dans une perméabilité vulnérable. A la suite, je diétais la sève blanche des racines d’un arbre qu’on appelle « l’oje ». Cet arbre se prend dans le cadre d’un jeûne et travaille sur les parasites au sens large. Dans les rêves que j’ai fait à ce moment-là, j’ai réalisé que ce qui me parasitait c’était Don Daniel. Pourtant je n’en n’étais pas à douter de lui à ce point-là sur le coup.
Alors que l’atmosphère était aux jalousies ambiantes générées par l’argent nouvellement plus abondant dans la communauté, les ocelots attaquaient de temps à autre les poulaillers. Le salaire mensuel que je versais à Don Daniel pour ma diète avait changé le quotidien et l’équilibre des choses. Et dans ce climat, la fille du chaman elle, se faisait piquer la cheville par un serpent. C’est fou comme la nature réagit au quart de tour dans toutes ses subtilités et ses variantes de l’énergie au travers de multiples manifestations. Plus l’esprit des lieux est puissant, plus la nature réagit fortement.
Je me retrouvais en pleine nuit et en pleine diète à marcher en portant le hamac contenant sa fille pour l’amener chez un médecin et trouver le contre-poison.
Elle s’en tirera avec quelques séquelles.
Et, moi aussi dans tout ça, je m’en sortirai plus tard morcelé...
Dans le quotidien de ma vie amazonienne, j’avais pour consigne de zigouiller les mygales qui squattaient la maison. Elles avaient des poils urticants qu’elles pouvaient laisser traîner et qui étaient mortels. Elles étaient très lentes cependant et moins impressionnantes que d’autres qui m’avaient piqué les fesses dans les toilettes. Il fallait pour régler le problème écraser leurs abdomens avec la pointe du manche à balais! Et dans ce geste assuré, giclait un liquide jaunâtre très peu appétissant.
Alors voilà le tableau! Je n’étais pas dans un centre chamanique pour touristes avec tout le confort qui existe aujourd’hui. Je vous épargnerai d’autres détails parce que ce n’est pas l’idée ici de mon récit.
Donc, la relation vrillait de plus en plus.
A un moment, Emaha, une chamane française qui m’avait recommandé Don Daniel à l’époque, est venue avec un groupe a Pucallpa, la ville la plus proche, à 22 h de pirogue. Le chaman m’a laissé encore quelques temps pour la rejoindre et animer des cérémonies pour son groupe.
C’était dans la temporalité du 7ème mois de ma diète. Ce coup-ci pas de vol de pouvoir au programme mais une grosse altercation. En effet, leur relation était devenue compliquée. Emaha était une femme de pouvoir au fort caractère et elle n’acceptait pas la façon dont les femmes étaient considérées dans la famille de Daniel. Elle lui est rentré dedans sur ce sujet plusieurs fois mais là il semblerait qu’à travers sa crise d’ego il n’ait pas mesuré son animosité. Elle a failli mourir en pleine cérémonie et s’est fait très peur. Ça a été un tournant dans sa carrière. Elle a affirmé qu’il l’avait attaquée en cérémonie et qu’il avait voulu la tuer. À la suite de cet évènement, elle a arrêté du jour au lendemain sa pratique du chamanisme amazonien qu’elle pratiquait depuis des années et qui était bien rodé.
Elle me fit parvenir un message par un intermédiaire m’ordonnant d’arrêter la diète et de rentrer immédiatement en France mais je n’étais pas décidé à rompre mon engagement vis-à-vis des plantes et de moi-même. Ni même d’obéir à un ordre comme celui-là où il était écrit : « Le maître a dit : rentre en France, ton travail est fini. »
Un peu après, je rêvais de l’énergie du tabac que je ne connaissais pas sous cet angle. C’est une plante sacrée très respectée et je découvrais pleinement son univers dans ce rêve. C’était très étonnant. Je découvrais son univers, ses couleurs, son caractère avant même de le rencontrer.
A mon réveil j’ai demandé à Don Daniel si je pouvais le dièter. Une partie du rêve que j’avais fait était un rite de passage de l’enfance à l’âge adulte...
Daniel m’indiquait de manière expéditive le protocole à suivre pour le diéter tentant de rester courtois avec moi.
Je n’ai pas respecté les bons dosages. J’ai voulu que ce soit fort comme dans mon rêve. J’ai dépassé les quantités, sans considérer que cela pouvait être dangereux. J’ai largement dépassé le nombre de prises et le temps de macération. Je buvais un liquide noirâtre extra fort et un café à côté ressemblait à du « pisse mémé ». Impossible de voir à travers. Et, je me suis brulé les intestins et s’en est suivi 3 semaines sans dormir, les nerfs à vif. Toutes les piqures de moustiques que j’avais eu depuis le début de mon séjour ressortaient d’un coup. Mon corps me brulait de partout.
Je rampais en journée comme je pouvais jusqu’à une plante appelée le « Pion colorado ». J’incisais son tronc et posais ma bouche sur l’entaille pour boire son latex et tentait de me cicatriser de l’intérieur. Malgré l’effet corrosif de la potion, en parallèle l’esprit du tabac m’accompagnait dans un processus intérieur pour m’aider à maintenir le fil de ma santé. Son esprit était au contraire très frais et d’un vert apaisant à l’intérieur de mon corps. J’avais bu une dose létale comme dans le rite de passage du « tabaqueros » que j’ai recherché à reproduire inconsciemment et le tabac me guidait dans cette traversée.
Et Daniel, lui, me laissait gérer seul cette crise délicate.
La diète a fini par se terminer et je suis revenu abimé.
Emaha est décédée par la suite brusquement au grand désarroi de ses fidèles. Je continuais à digérer mon après-diète comme je pouvais, dans une grande solitude. Ils m’avaient assuré et promis d’être présents pour mon retour mais ce n’était pas le cas. Matériellement, je recommençais tout à zéro. Le lien énergétique entre moi et Daniel n’était plus du tout amical.
Je faisais beaucoup de cauchemars et de crises d’angoisses intenses. Je rêvais que je me faisais attaquer et il y avait d’autres morts autour de moi. Quelque chose me disait que j’étais le suivant sur la liste.
Une nuit, j’ai fait un rêve. Ma porte d’entrée était enfoncée avec un caddie de supermarché qui restait en travers du salon. J’ai eu des visions très sombres à cette période. Je suis monté crescendo en pression. Nos deux égos continuaient de se protéger l’un de l’autre, en mode « alerte générale » et il fallait vraiment que tout cela cesse.
Un jour je me suis résolu à prendre la décision de faire le fameux « retour à l’envoyeur ». Toutes les énergies et les mauvaises intentions que j’avais vécu et reçu, je n’en voulais plus. J’ai décidé de lui renvoyer ces énergies intrusives en visualisant que je lui faisais ravaler cette nourriture qui n’était pas la mienne. Je n’acceptais plus d’être sa cible. Je ne lui souhaitais aucun mal mais cette situation n’était plus supportable. Je me suis choisi.
J’ai appris qu’il est tombé malade brusquement et il est mort 3 semaines plus tard.
Je continuais à être en contact avec son esprit errant.
Chez les Shuars on dit qu’un ennemi mort est plus dangereux qu’un ennemi vivant. Cette tribu de guerriers avait la réputation de couper la tête de leur ennemi, de coudre tous les orifices pour enfermer l’esprit du mort dans la tête qu’ils faisaient réduire ensuite à la taille d’une balle de tennis. Ça devenait ensuite une sorte de totem de pouvoir qu’ils chantaient en honorant l’esprit du mort pour qu’il trouve la paix et que la paix perdure dans la communauté.
« Un des rites et des secrets du peuple des shuars, est de rendre hommage quotidiennement aux têtes réduites des ennemis morts en guerriers valeureux, en entonnant les « anents », les chants de remerciement pour le courage ainsi transmis et prières pour une paix durable. » (extrait : Le vieux qui lisait des romans d’amour de Luis Sepulveda)
Malgré la mort de Daniel, c’était toujours aussi compliqué et j’ai fini par faire appel aux shuars pour recevoir des protections pour gérer cette situation. Ils ont alors accepté de m’initier et ils font partie désormais de ma famille de cœur.
Aujourd’hui, j’écris ce texte en honorant l’esprit de cet homme malgré les expériences difficiles que nous avons vécu. Je ne lui en veux pas. J’ai beaucoup appris de toutes ces erreurs.
Si j’avais a récapituler, je dirais que :
1- Il y a eu des faits qui ont été vérifié par d’autres maestros qui le connaissais et qui ont reconnus que certaines de ses actions, notamment en termes de choix et d’administration de plantes était considéré comme de la maltraitance. Dans la tradition, ce sont de lourdes erreurs. Des fois, j’imagine qu’il a dû vouloir me donner une bonne leçon pour mon arrogance de jeune occidental un peu trop sûr de lui.
2- Je reconnais avoir un caractère entier et confrontant qui pousse dans les retranchements. Je suis également responsable de mes immaturités à ce moment-là. C’est en toute souveraineté que je me suis remis entre ses mains. Par conséquent, je suis responsable aussi de mon choix d’être entré en relation avec lui tout comme lui du sien.
3- Je reconnais toute la beauté de cet être, et aussi de ces belles intentions dont j’ai été témoin à multiples reprises à travers son innocence (comme l’histoire du hamac et de la tornade) et ses sourires. Tout ce qui s’est passé n’enlève rien pour moi à son niveau de maîtrise de technicien de docteur végétaliste.
4- Ces erreurs ont entraîné ce qu’elles ont entraîné, c’est à dire des mécanismes de défense de l’ego des deux côtés, des interactions énergétiques et un engrenage qui a créer un terrain propice au déroulement de ce qui s’est passé.
Le cadre de la diète était le contrat que nous avions signé en début de diète. A celui-là, un autre cadre invisible est venu se superposer et teinter l’expérience…
Cette ingérence à ouvert la porte aux « Shitanas ». Les Shitanas représentent la partie des énergies négatives des plantes dans la culture Shipibo.
Ce cadre a laissé place aux esprits malins comme le « Chullachaqui » qui vient faire des blagues ou bien aux « Yacurunas » qui sont d’autres esprits qui viennent jouer dans ces circonstances. Une légende raconte que des êtres aquatiques vivent dans les eaux profondes : les Yacurunas. Ils peuvent se transformer en dauphins roses, les « cushushca » ou les « boto ». Ils ont un grand pouvoir séducteur comme les « sirènes » et ils prennent la forme d’un homme. Ils ont la réputation de capturer des humains pour les emmener dans leur monde et les transformer à jamais comme eux. Ils leur retournent la tête pour ne pas qu’ils retrouvent leur chemin. Lorsque des personnes disparaissent dans un village, on soupçonne toujours que ce sont les Yacurunas qui les ont kidnappés.
Ils ont de grandes capacités de guérison et peuvent les transmettre à leurs capturés avec qui ils se marient parfois. Les chamans peuvent faire appel à eux en créant une relation de confiance. Ils peuvent alors être de puissants alliés et transmettent des pouvoirs de guérison.
Ces énergies parasites viennent perturber le travail cérémoniel.
Avec mes grilles de compréhension d’aujourd’hui je dirais que les eaux profondes dans lesquelles nous perdent les Yacurunas sont les eaux de l’inconscient. Lorsque les énergies de l’égo interfèrent dans le processus, les esprits malins s’engouffrent dans la psyché et nous retournent la tête pour nous perdre. Comme l’esprit du chullachaqui qui prend le visage d’une personne connue et nous éloigne de la surface pour nous entraîner dans les tréfonds.
Mes maestros me disaient des démons qu’ils peuvent entrer en nous dès qu’ils le désirent et qu’il faut les faire sortir avec force. Il faut dominer ces énergies. C’est un chemin de force, sinon ils viennent nous raconter un tas d’histoires pour nous influencer et nous faire vaciller… La moindre frayeur et ça devient une sorte de psychose. Dans l’initiation chamanique il est question de cette étape mentionnée dans beaucoup de récits. Il vient un temps ou un esprit prend un visage effrayant pour nous tester. Si on a peur, on se perd. On expérimente les dédales du SUSTO ( la frayeur qui se soigne et qui est un aspect important de la médecine traditionnelle en Amazonie ). Si on dépasse cette peur, alors on passe la porte vers d’autres espaces intérieurs plus stables et plus harmonieux, des espaces de guérison profondes.
Lorsque l’égo interfère et entre en crise, lorsque ce logiciel de survie s’enclenche, il cherche à tout prix à nous influencer pour nous maintenir sur place dans ses certitudes et nos habitudes. C’est sa façon de nous protéger. Ce logiciel a enregistré que c’était la seule et unique manière de nous faire survivre. C’est une croyance de l’égo qui a fonctionné à une époque, qui dans le présent est obsolète et qui se rejoue en nous limitant et nous immobilisant. Il ne veut pas que ça bouge. Ces démons ou esprits malins, sirènes de l’inconscient sont là pour nous retourner la tête. Les perceptions subtiles brouillent le chemin, elles sont tronquées et nos perceptions peuvent devenir un leurre. C’est la partie du cerveau archaïque et reptilien qui rentre en jeu, le cortex. Il gère les trois piliers de la survie : nourriture, territoire, reproduction. L’égo est très puissant, il mobilise notre propre force vitale et est capable de faire preuve de beaucoup de subtilités pour nous maintenir.
Dominer cette énergie parasite, c’est traverser la barrière inconsciente de l’égo et pour cela il nous faut être en pleine puissance afin de dissoudre la vague émotionnelle et retrouver de la clarté. Ça passe par les racines et cette fondation de base d’enracinement ne laisse plus aucune place à ces énergies appelées les « Shitanas ».en shipibo.
Ces esprits de la cosmogonie shipibo sont donc une sorte de feuille de route et une cartographie de la psyché. Boire la médecine d’Amazonie, c’est plonger en accéléré dans la gueule du loup. C’est mettre de l’engrais dans la psyché. C’est un accélérateur où tout est amplifié.
A la rencontre de sa psyché et de ses profondeurs, on n’en revient pas indemne. Ce chemin n’est pas pour tout le monde. Maitriser ces forces par une puissance et un enracinement permet au chaman d’acquérir une structure particulière. On dit que le chaman maîtrise le « nagual » (monde de l’invisible, de l’hémisphère droit ) et maîtrise aussi le tonal (monde de la structure, de l’hémisphère gauche).
De sa blessure sacrée qu’il a embrassée, il en a tiré toute sa force et sa connaissance de lui-même et il connaît le chemin. De sa blessure il a connu la psychose et il peut traverser les profondeurs de la psyché humaine et en revenir entier. Ainsi, il peut accompagner ses frères et ses sœurs à traverser la rivière.
Voilà pourquoi je ne conseille pas aux occidentaux d’aller là-bas sans être bien planté à la terre car le monde des plantes et du chamanisme amazonien n’est pas une aventure touristique anodine…Il faut avoir une structure psychique solide.
Les enjeux énergétiques des projections de l’égo qui utilise les batteries vitales des grandes forces de la nature au service de la survie peuvent être très dangereux et il y a souvent des dommages collatéraux. Cette ingérence peut donner naissance à des histoires de magie noire.
On dit qu’il y a différents chamans :
- les chamanes blancs
- les chamanes noirs : ceux qui ont définitivement basculé dans l’ombre (un peu comme Darkvador dans le film Star Wars)
- les chamanes gris : c’est à dire ceux qui intentionnellement font le bien et le mal pour de l’argent en toute conscience et puis il y a ceux qui basculent du côté obscur, temporairement suite à une grosse colère et une faille d’égo.
C’est pourquoi dans certaines traditions il y a des sortes de polices qui veillent. On parle de « la Gauche » au Gabon qui est le commissariat chamanique de la tradition!
J’expliquais que l’ego investit notre vitalité au service de quelque chose qui n’est plus actualisé au présent en rapport à des vécus du passé. L’inconscient entre en jeu et les forces vitales sont investies au bon endroit.
On ne peut pas lever ces mécanismes sans lever les angles morts inconscients qui, suite à certains stimuli enclenchent des systèmes automatisés de survie à effet boomerang ou effet ressort. Ces mécanismes teintent nos interactions relationnelles.
Il est facile d’être chaman noir, c’est très rapidement accessible. Trois mois de diètes et les armes noires sont à disposition. Certains font le choix des mauvaises intentions, de la malveillance et le pire dans tout ça, c’est qu’en maintenant cette identité de méchant, cela peut-être une manière apprise déformée pour être aimé.
Être un chaman blanc est un apprentissage beaucoup plus long, beaucoup plus difficile et laborieux.
J’ai été témoin dans la culture indigène Shipibo de déresponsabilisation face au sujet de la méfiance et de la jalousie ou des envies et du mauvais œil.
Il y a réellement une réalité sur place des impacts que cela peut avoir sur la matière. La nuisance de la magie noire est redoutable et n’a rien à voir avec l’imaginaire des superstitions de nos campagnes.
Au marché, nous pouvons acheter des plantes pour soigner et il y a aussi à vendre des plantes mortelles pour jeter des sorts… c’est comme ça.
En Equateur aussi, chez les Shuars il est fréquent que par jalousie on règle le problème en allant voir un Uwishine (chaman ou médecin traditionnel ancestral) « noir » et qu’il envoie un dard invisible sur la cible indiquée.
Je me souviens d’un partage avec mon nouveau maestro, Luis Ricardo Tsakimp qui m’expliquait pourquoi le patient qui était devant moi était malade.
Il m’a dit : -« tu vois, il y a deux types de maladies… Physique ou spirituelle.»
Il me dit : « Là tu vois, le patient s’est pris une flèche invisible et elle est resté dans son corps. J’ai pu l’extraire à temps et on va pouvoir le soigner… (l’homme devant moi se tordait de douleur et il resta 5 jours sur place à gémir sur le divan) mais si la flèche avait traversé le corps, je n’aurais rien pu faire. Juste attendre la mort… Une fois un homme est venu me voir et m’a posé sur la table une photo avec 10 000 dollars en me disant : est-ce que vous pouvez tuer cet homme ? Je lui ai répondu que chez Ricardo Tsakimp on ne fait que soigner ! »
J’ai été témoin de plein de faits chamaniques et je peux affirmer que c’est une réalité qui n’a rien de fantasmagorique à ce niveau-là mais cette réalité est loin de nos expériences occidentales.
Mais dans la culture indigène Shipibo, on a aussi tendance à diagnostiquer parfois un peu rapidement le sujet. J’ai été témoin de diagnostics hâtifs sur des individus touchés soi-disant par le mauvais œil et où il s’agissait d’autres choses. Cela peut déclencher aussi dans certains cas des guerres qui n’en finissent pas et c’est un vrai cercle vicieux.
Le phénomène parasite des mécanismes de crise d’ego existe un peu partout dans le monde à multiples niveaux des relations sociales et de la vie de tous les jours mais quand il existe dans les réalités du chamanisme cela fait évidemment plus de dégâts. On retrouve ceci dans les 4 coins de la planète.
J’ai mis 10 ans à intégrer tout cela. Ça a été long de cicatriser dans mon esprit tous les traumatismes de ces expériences.
Longtemps je me suis forcé à ne plus chanter ses chants qui étaient pourtant intensément présents. Ils résonnaient dans mon corps mais ils étaient associés pour moi à un circuit défaillant, insécurisant et périlleux.
Comme un phénix qui renait de ses cendres, mon chant du dauphin a fini par retrouver sa place et comme les guerriers Shuars, je chante la paix à l’esprit de cet homme qui a été un grand enseignant.
Ca aurait pu être plus simple mais il m’a fallu passer par là pour intégrer la leçon.
Je crois que c’est aussi ce qu’ont voulu les plantes pour moi et que je puisse marquer les esprits sur plein de petites réalités qu’on laisse trop souvent de côté là où l’ego nous emporte à mauvais port.
Trop d’énergie perdue et gaspillée, trop de belle création réduite en cendres. Trop de brumes et de marais stagnants.
Il est grand temps d’éclairer les angles morts de nos inconsciences. C’est ma vocation.
Belle réflexion à vous.
Nicolas Menager